En pleine “relecture” des Fiches Outils que nous sommes en train de créer (principalement celles dédiées à la parentalité positive) et en pleine préparation d’une tournée de conférences, Isabelle Filliozat a quand même trouvé le temps de répondre à quelques-unes de nos questions de parents “imparfaits”, mais toujours aussi convaincus des bienfaits que peuvent apporter à nos enfants la démarche de parentalité positive !
Isabelle Filliozat 2013
Camille et Olivier de Supers Parents : Bonjour Isabelle, vous nous faites l’immense honneur de relire certaines des Fiches Outils que nous sommes en train de créer (notamment celles traitant de la parentalité positive)… et nous nous rendons compte que, malgré toutes nos lectures, nos formations, notre implication dans l’apprentissage de la parentalité positive… nous faisons encore beaucoup d’erreurs !
Comme beaucoup d’autres parents, nous sommes encore (selon vos termes) « trop enfermés dans le paradigme psychanalytique de la théorie des pulsions (Freud) » qui voit l’enfant comme une petit être tyrannique qu’il faut canaliser en lui imposant des règles et limites strictes. Comment en sortir une bonne fois pour toutes ?
Isabelle Filliozat : Notre culture est si imprégnée de ces croyances et de ces habitudes de réaction qu’il me parait illusoire de se débarrasser de ces idées une bonne fois pour toutes. Nous avons à être vigilants sur cette tendance à interpréter les comportements des enfants comme dirigés contre nous. Mais au fur et à mesure que les informations scientifiques sur le fonctionnement du cerveau de l’enfant seront diffusées, je pense que cela changera radicalement notre perspective. Nos interprétations nous permettent de donner du sens à des réactions que nous ne comprenons pas. Or, Les neurosciences explorent le cerveau de l’enfant comme jamais avant. Nous n’en sommes plus réduits à devoir interpréter, nous pouvons décoder.
NON ! Les interdits, frustrations et limites que nous donnons à l’enfant ne lui donnent pas un sentiment de sécurité. Et ne lui donnent pas non plus les « bonnes » bases de la socialisation. Passons sur cette connotation morale « bonnes » bases, ceci est le dada de la psychanalyse (française) avec sa théorie des pulsions qui a fait tant de mal à l’éducation des enfants.
Ce qui donne le sentiment de sécurité aux enfants, c’est l’attachement, l’attention du parent à ses besoins, le respect, etc… c’est aussi la liberté, les permissions et les consignes qui aident à savoir comment faire ceci ou cela en toute sécuritéLes seules limites qui donnent de la sécurité sont celles de l’enfant. Il se sent en sécurité si nous lui enseignons qu’il a des limites et qu’il a le droit de les faire respecter par ses frères et sœurs, par les gens, et même par nous. » Ton corps est à toi, et si ce qu’on te fait te fait non à l’intérieur, tu as le droit de dire Stop. », « ce stylo est à toi et si tu ne veux pas que ta petite sœur joue avec, tu as le droit de le mettre sur cette étagère en hauteur ».
Un interdit est toujours dangereux parce que le cerveau de l’enfant est un cerveau humain, c’est à dire avec un lobe frontal qui veut diriger ses propres comportements (donc risque de mobiliser de la rébellion). De plus, il est formulé en négatif le plus souvent et donne donc une mauvaise direction au cerveau de l’enfant.
Qu’est ce qui donne le plus de sécurité : “Il est interdit de courir sur la chaussée. Tu dois me donner la main en traversant.” Ou “Tu peux marcher et courir sur le trottoir, sur la chaussée, tu marches en me tenant la main.” ?
Il suffit de sentir le léger stress que nous éprouvons tous, les humains, lorsqu’on nous donne un ordre ou un interdit pour vérifier que cela ne nous met pas du tout en sécurité.
Rythme cardiaque accéléré = peurRythme cardiaque ralenti = sentiment de sécurité
A noter aussi : la liberté donne davantage de sécurité que les limitesEst ce que je me sens plus en sécurité si je dois lever le doigt pour demander la permission d’aller faire pipi ? Ou si je sais que j’ai la liberté d’aller faire pipi quand j’en ai besoin parce que c’est un besoin naturel, et que la consigne est que je préviens la classe et j’emmène avoir moi un copain ?
La sécurité, le plaisir, sont des conséquences de la satisfaction des besoins d’attachement et de liberté.
Camille et Olivier de Supers Parents : Un autre point est ressorti de nos échanges à propos des Fiches Outils : notre difficulté à différencier sentiments et émotions. Pourriez-vous nous expliquer les différences fondamentales entre les deux ?
Isabelle Filliozat : Une émotion est une réaction physiologique de l’organisme. Nos émotions nous aident à nous adapter à notre environnement. La peur nous permet de faire face au danger, la colère de protéger notre espace, notre territoire, de restaurer la justice et de réparer notre intégrité quand elle a été blessée. La honte nous maintient dans une certaine conformité au groupe auquel nous appartenons, et nous évite de blesser autrui. La tristesse est l’émotion de l’acceptation de la perte. La joie nous indique notre direction de vie et favorise l’apprentissage. L’amour nous rapproche les uns des autres. Les émotions sont universelles. Tous les humains les ressentent dans les mêmes circonstances. Les sentiments, eux, sont individuels et fonction de notre histoire. Un sentiment nécessite une élaboration mentale. Nombre de nos réactions émotionnelles (et de celles de nos enfants) ne sont pas des émotions, mais des sentiments ou des réactions émotionnelles parasites. Un enfant qui pleurniche par exemple parce que l’eau est trop chaude, puis trop froide, puis que la serviette ne couvre pas ses orteils… n’éprouve pas de la tristesse ! Il est dans une réaction parasite camouflant une autre émotion. En l’occurrence, de l’anxiété par rapport à l’école ! Eh oui, les réactions émotionnelles parasites n’ont souvent rien à voir avec le problème sous-jacent. C’est pour cela qu’elles sont incompréhensibles pour le parent et qu’il les classe un peu rapidement dans la catégorie « caprice ». Les caprices, c’est tout ce que l’adulte ne comprend pas.
Camille et Olivier de Supers Parents : Nous savons que l’émotion est au centre de votre expertise, notamment à travers votre « Ecole des intelligences relationnelles et émotionnelles », et nous sommes ravis de très bientôt passer le stage « la grammaire des émotions », dont un des objectifs est de guérir nos blessures d’enfant et de « nous libérer des émotions que nous retenons et qui nous détruisent ». La question que nous souhaitions vous poser depuis longtemps est la suivante :est-il possible d’entamer une démarche de parentalité positive sans avoir fait ce « retour sur notre propre enfance » au préalable ? Nous pensons notamment aux personnes qui ne peuvent (faute de temps ou d’argent) ou ne souhaitent pas faire cette démarche. Y a-t-il des pistes à suivre pour tenter de faire ce travail par soi-même ?
Isabelle Filliozat : Oh oui, il est possible d’entrer dans la parentalité positive sans guérir son passé ! Heureusement. Nombre de gens ayant lu un de mes livres ou même m’ayant juste entendu en conférence m’ont dit avoir cessé de frapper leur enfant ou de le punir et avoir radicalement transformé leur attitude et l’atmosphère familiale. Ceci dit, clairement, nous sommes parfois pris par notre passé, happés dans notre histoire à notre insu et cela déclenche des réactions excessives. Nous entrons dans des fureurs hors de proportion avec le problème ou sommes démunis devant une situation pourtant relativement simple. Dans ce cas, il est utile de commencer une démarche. Tous mes livres comportent des exercices, car il me parait important depuis toujours que chacun puisse s’approprier son chemin. Le livre « trouver son propre chemin » peut être un bon début.
Camille et Olivier de Supers Parents : Si la « guérison de nos blessures d’enfant » est la première étape de la démarche de parentalité positive, quels sont, selon vous, les suivantes ?
Isabelle Filliozat : La guérison de nos blessures d’enfant est une étape parmi d’autres. Pas forcément la première, comme je vous le disais ci dessus, on peut déjà avancer beaucoup sans avoir encore guéri.  Le travail de guérison se fait au moment où l’on est prêt. Si l’on a été profondément blessé dans son enfance, ce peut être un parcours difficile et douloureux. La première étape, est pour moi de s’entourer. Avoir un bon réseau relationnel, des amis pour nous soutenir, des relais pour garder nos enfants, des copains et des copines pour nous donner des idées et partager des expériences… des gens autour de nous pour échanger, se nourrir, et tenir le coup face aux inévitables remarques des personnes « bien intentionnées » qui nous entourent et ne partagent pas notre vision de l’éducation.
Puis, il me parait important d’installer les nouvelles compétences une à une. Par exemple cette semaine, je m’exerce à l’écoute. La semaine suivante, je décris les situations… etc. Etdès qu’on se surprend à entrer dans un jeu de pouvoir avec l’enfant, se souvenir que nous sommes l’adulte et donc celui qui a la responsabilité d’en sortir ! Nous pouvons respirer profondément, relativiser l’importance de ce sur quoi nous nous disputons (mettre les bottes, l’assiette verte ou les devoirs) et nous souvenir de tout l’amour que nous portons à notre enfant. Nous pouvons commencer par lui faire un câlin pour remplir son réservoir d’amour et recommencer du début. Oh oh… on dirait qu’on se dispute là ! tu as vu ça ? On a du louper un truc. D’abord on se fait un câlin (ou une bagarre affectueuse sur  le lit si la dispute était déjà bien avancée) puis on recommence et cette fois le parent pense à donner un choix ou à poser une question au lieu de donner un ordre.
Camille et Olivier de Supers Parents : Un autre point dont nous avons discuté : la difficulté, pour certains parents s’initiant à la parentalité positive… de partager cette philosophie avec leur conjoint. Quelle piste pouvez-vous proposer à ces personnes ?
Isabelle Filliozat :
1. Le non-jugement ! C’est efficace pour les enfants, mais aussi pour les adultes ! Un conjoint qui se sent jugé s’enfermera dans sa position.
2. L’empathie. C’est aussi à l’empathie que nous lui fournirons que notre conjoint pourra mesurer le non-jugement ! Faire une phrase du type : « J’ai vu combien tu étais énervé par le comportement de Julien, c’est dur de voir son fils rapporter de telles notes (être le plus précis possible) » ou « ça te met hors de toi de voir ton fils sur l’ordinateur alors qu’il n’a pas fini ses devoirs. » (Attention au ton de la voix, qui reste plein de tendresse, de respect et de compréhension… si, si…!)
3. L’écoute. Qu’est-ce qui est le plus dur pour toi quand il rapporte des notes inférieures à la moyenne / quand tu le vois sur son ordinateur…
4. Et écouter aussi le passé… et ton père, comment il réagissait quand… c’est en incitant le conjoint à faire le lien avec sa propre enfance, qu’on va vraiment l’aider à ne plus mobiliser le comportement excessif.
Il est fondamental de ne pas se sentir « supérieur » à l’autre, parce que nous aurions plus raison que lui, ou autre. Nous n’avons pas été plongés dans la même culture enfantine, nous n’avons pas eu la même expérience en tant qu’enfant. Voir notre conjoint enfermé dans un nœud dont il n’arrive pas à sortir seul peut nous aider à l’accompagner sans le juger comme incompétent, dur, méchant, laxiste…
Camille et Olivier de Supers Parents : Vous nous avez aussi évoqué le fait que des études récentes avaient prouvé que les « devoirs à la maison » n’étaient pas forcement bons pour l’apprentissage de nos enfants… pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Isabelle Filliozat : Oui, les devoirs non seulement n’aident pas l’apprentissage mais le ralentissent. Les devoirs consistent le plus souvent à faire des exercices sur des leçons apprises en classe. Or les enfants qui ont compris s’ennuient à faire des exercices dont ils ne perçoivent pas le sens. De plus quand on s’ennuie, on a tendance à faire des erreurs…
et les enfants qui n’ont pas compris vont buter, et se buter. Ils risquent de prendre des voies erronées pour tenter de répondre à la question posée et risquent donc d’installer de mauvaises habitudes.
Parce que les enseignants et les chercheurs en pédagogie savent que les devoirs n’aident pas l’apprentissage, en france, ils ont été interdits dans le primaire. Hélas la conviction devoir = succès est bien ancrée dans la tête des parents qui se plaignent quand le prof ne donne pas de devoirs !
les internautes qui désirent en savoir plus peuvent lire en anglais le livre très documenté d’Alfie Kohn The homework myth ou écouter sa conférence en ligne No grades + no homework = better learning.
Camille et Olivier de Supers Parents : nous profitons aussi de cet interview pour vous demander votre avis sur un des sujets « chauds du moment » : que pensez-vous de la réforme des rythmes scolaires en préparation ?
Isabelle Filliozat : C’est une minuscule réforme par rapport à celle qui serait nécessaire.Les rythmes, ce sont aussi les horaires. On sait par exemple que les adolescents ne devraient pas se coucher avant 11h le soir et ne pas se lever avant 9h du matin… mélatonine oblige. Qui pense à adapter les horaires ? Aujourd’hui les ados et les préados dorment en classe. On accuse les écrans, certes, il y a un problème avec ces écrans, mais ce n’est pas le seul. Les rythmes sont conçus pour les adultes, pas pour les enfants. D’ailleurs, si cette réforme au service des enfants rencontre tant d’hostitilité c’est parce qu’elle bouscule les convenances des adultes, enseignants et parents.
Camille et Olivier de Supers Parents : La grande majorité de nos lecteurs étant (comme nous) « fans » de tout ce que vous faites, dites ou écrivez à propos de la parentalité positive, pouvez-vous nous donner votre actualité sur ce domaine (prochaines parutions, conférences etc…)
Isabelle Filliozat : En avril,  je publie la traduction d’un livre américain sur le jeu dans ma collection Parent +. Le parentage par le jeu, une approche révolutionnaire pour rétablir le lien, résoudre les problèmes de comportement et tout simplement… s’amuser !
Conférences : Je serai le 13 mars à Liège, le 14 mars à  Butgenbastch (proche de Bruxelles) le matin et à Marq en Baroeuil près de Lille, le soir, le 19 mars à Rennes, le 20 mars àNantes, le 23 Mars à Nîme, le 25 mars à Rodez et le 5 avril à St Etienne.
Je ferai aussi une signature à Plan de Campagne le dimanche 17 mars.
Toutes les informations sont sur mon site : http://www.filliozat.net/ecole/conferences.php
Un grand merci Isabelle d’avoir pris le temps de répondre à nos questions malgré votre emploi du temps, que nous savons très chargé ! Nous sommes certains que vos propos seront, comme toujours, très utiles à toutes les personnes souhaitant s’initier à la Parentalité Positive, ou renforcer leurs compétences de parent bienveillant…